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Lettre 1 : celle où je parle de nos premiers liens

Mon petit doudou,

Je t'imagine à 30ans lire cette lettre et te dire 《ma pauvre mère était complètement gaga : "mon petit doudou" : sérieusement ?》. Eh bien, oui, je suis gaga, et ton surnom "doudou" s'est imposé à moi dès ta naissance. J'aurais pu faire plus original, je te l'accorde. Le doudou... celui dont on renifle la douce odeur, celui qui accompagne les petits dans les moments d'angoisse et les transitions, le doudou tout doux de l'enfance auquel il faudra un jour renoncer mais qu'on garde précieusement dans une armoire à l'abri des regards... voilà ce que m'inspire ce surnom qui s'est imposé à moi. Et d'ailleurs tu sais quoi ? Je n'ai jamais eu de vrai doudou quand j'étais petite ! Bref...

J'ai beaucoup réfléchi à comment t'écrire cette lettre. D'ailleurs c'était pas prémédité : oui, j'écris des lettres à ta sœur mais je n'avais pas le projet d'en faire autant pour toi. Sauf que... j'en ai eu le besoin : celui de coucher sur le papier (taper au clavier en l’occurrence) mes ressentis si forts et qui me questionnent tant. Tu as 6 semaines et 3 jours et enfin je commence à écrire sur ce que j'ai compris à la seconde où tu es né.

Toute ma vie je me suis imaginée mère d'une fratrie de filles. Je ne parvenais pas à me projeter avec un garçon. 《De toute façon, me disais-je, il ne faut pas que j'ai de garçons, je ne saurais pas m'en occuper.》 J'avais grandi avec des sœurs, avec des cousines, mais pas de garçons à l'horizon. Alors non, vraiment, je n'y arriverais pas : je ne saurais que faire d'un garçon. Et, pour mes 2 grossesses, il y avait en moi, quelque part, une certitude que finalement on choisissait un petit peu le sexe de nos bébés, inconsciemment, mais quand même. Et moi, consciemment et inconsciemment, j'en étais sûre : je voulais des filles... donc j'aurai des filles. Et puis, il y a eu cette première écho et pour moi un premier doute : voilà qui ressemblait à un garçon, ce qui fut confirmé par la sage-femme quelques semaines plus tard. Alors, j'allais avoir un fils : d'accord. Je m'attendais à avoir la trouille et à être déçue. Mais non, ni l'un ni l'autre : j'ai accueilli cette nouvelle avec sérénité. En fait, c'était comme si je découvrais une évidence, comme si inconsciemment j'avais voulu un fils et qu'enfin cette info émergeait consciemment.
La grossesse s'est poursuivie et petit à petit, je créais avec toi un lien fort, indicible. Je ne t'ai pas parlé comme je le faisais pour ta sœur, je n'en avais pas besoin, tu étais là, comme une partie de moi qui vivait ce que je vivais, entendait ce que je pensais. Souvent, et jusqu'au terme, je me croisais dans les miroirs et je me disais "ah oui c'est vrai, je suis enceinte". Comment exprimer cela clairement ? En fait, je n'attendais pas un enfant : il y avait toi, en moi, continuité de mon être. C'était là, prégnant, cette fusion, mais je ne l'ai comprise qu'au moment de ta naissance. Les femmes disent souvent avoir aimé leur enfant au premier regard. Moi, le premier lien ne fût pas par le regard : je t'ai entendu crier dans mon dos et j'ai été submergée. J'ai su instantanément que ce lien avec toi pouvait me perdre et qu'il me faudrait apprendre, chaque jour, à laisser grandir "mon doudou". D'ailleurs, au cours de la grossesse, j'avais décidé que je voulais couper le cordon ombilical : ton père n'était pas désireux de le faire et moi j'étais curieuse de sentir sous les ciseaux la consistance de ce lien de vie entre une mère et son enfant. Mais le moment venu, j'ai refusé. Ce n'était pas réfléchi, j'ai juste dit non et c'est la sage-femme qui s'en est chargée . Comme si je refusais d'acter cette première séparation : séparez-moi de mon doudou, moi je ne peux pas.

C'était donc ça. Ce que j'ai toujours pris pour une peur de ne pas savoir m'occuper et élever un garçon, était en fait une peur viscérale de ce lien que je créerais et qui me dépasserait ? Ou alors peut-être que je me plante, que ça n'a rien à voir avec le fait que tu sois un garçon, mais que ce lien est là parce que c'est toi, à ce moment-là de ma vie, avec ce parcours de grossesse, cet accouchement, cette rencontre. Je ne sais pas, je ne parviens pas à élaborer la question. Rapidement, j'ai dit à ton père : 《prend ta place, j'en ai besoin car c'est trop fort le lien avec lui》. A nouveau, le "séparez-moi de mon doudou, moi je ne peux pas le faire". Et toi, en réponse, tu ne te laissais apaiser que par mes bras ; ton papa te désignait déjà comme "fils à maman". Et moi j'oscillais entre ce sentiment de plénitude quand je te portais, te câlinais, et un sentiment d'étouffement, presque de danger. Parfois j'ai peur d'être trop et de t'empêcher d'être et de devenir, ou que cette première peur me mène à être pas assez et à te repousser. Ce lien me tétanise autant qu'il me vitalise.


Je me relis et je me dis qu'il me faudrait une bonne séance de psy ou peut-être une analyse de 20ans !

J'ai compris avec toi combien amour et attachement sont distincts. Tu sais il y en a qui disent qu'on a toujours un enfant préféré et j'avais peur que ça soit vrai. Sache-le, c'est faux. Mon amour est équivalent, fort et incommensurable, pour ta sœur comme pour toi. La différence c'est le lien : comment la force de cet amour s'exprime différemment malgré moi.

 

Je termine cette lettre : tu auras 8 semaines demain. Je reviens du rendez-vous avec la conseillère en lactation. Elle t'a dit de lâcher ta mère, elle a dit que tu étais "un garçon à sa maman", elle m'a dit "vous êtes son doudou"... Et j'ai pensé que c'était de bonne guerre !


Je t'aime,
Maman.

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Quand on te lit on comprend pourquoi il reste accroché à toi. En fait, inconsciemment c'est ce que tu veux !
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Mais j'en suis consciente : j'y travaille !